Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Nombreux sont les poètes à avoir célébré l’arbre, à s’être vécus arbre (ne citons que Supervielle) mais à Catherine Baptiste il fallait plus, la forêt tout entière, avec ses arbres donc, mais ses baies et ses fougères aussi bien, et ses animaux et même ses visiteurs, au nombre desquels le chien qui accompagne l’autrice dans ses vagabondages. C’est donc une ode double qu’on lira, à l’animal, à la forêt, superbement illustrée par les peintures de Rose-Marie Marc’halant, mi-naïves mi-symboliques parfois jusqu’à l’inquiétude. C’est que la forêt est un tout, un univers d’enfance, qui accueille et où l’on se perd, où parfois – Poucet – on va vous perdre, à la fois refuge et menace sourde. Mais au tout début, pour que la forêt soit, il y a la pluie, dont les cordes qui tombent préfigurent les fûts des arbres qui monteront, verticalité en germe, entre ciel et terre. Puis il y a l’humide, l’humus, les « entrailles fécondes de la vie ». Et si la mère « s’en va courant, s’en va mourant » abandonner le bébé, la forêt l’accueillera, mère de substitution (« forêt vierge » comme elle le fut pour Tarzan, mais ça ce n’est pas dans le livre, c’est moi qui y ai pensé). Dès lors, la forêt est l’espace de la vie et de la liberté, liberté aussi de s’épancher, de déborder en mots quand « longtemps mise en demeure / d’élaguer (..)/ j’ai resserré l’écorce et ses plis » pour enfin dans la forêt « déborder mon âme, ma chevelure, mes clairières » et donner libre cours à l’ode qui ose les « ô forêt » les « toi qui » sans craindre la grandiloquence. Mais revoilà le chien qui, tout joie, tout jappement et frétillement, « obstinément heureux de vivre » se fiche bien des concepts, de la vastitude, et cherche l’infime « le Chien et moi / furetons à nous égarer (…) / il est impossible de ne pas nous arrêter / à chaque brindille (…) / toute pétiole est à renifler longuement ». La forêt que chante l’autrice est cela, entre l’illimité du ciel, le vertige des feuillages et le minuscule de l’insecte « ça grouille, la vie l’amour ». Or ce grouillement est aussi source d’inquiétude. Il y a du rouge caché dans la vie, des chiens dressés à tuer, « il nous faut livrer bataille / délivrer des langues, délier des secrets » mais ces « moments teintés de rouge sang » sont eux-mêmes « d’une beauté aussi aigüe que les taillis » où s’écorchent les genoux. Oui, la forêt est un tout, comme l’est l’autrice (et aussi le chien) qui la parcourt et il convient d’« accueillir l’étrange ».

 

(Décharge n°187, 2020)

 

Tag(s) : #2020
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :