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Un mot tout d’abord de l’Ail des ours dont ce recueil constitue l’acte de naissance. On connaissait Michel Fievet passeur de poèmes auprès de ses élèves comme auprès des abonnés de sa lettre hebdomadaire. Qu’il se lance dans l’édition est un heureux prolongement puisqu’éditer, c’est encore passer des poèmes. Mais des poèmes cette fois qu’on fait naître (à la lumière publique du moins). Saluons-en le courage et l’enthousiasme. On ne peut que souhaiter longue vie à cette nouvelle enseigne dont le logo, œuvre de Xureli, a quelque chose d’espiègle avec cet A fleuri qui semble sautiller pour enjamber la distance entre les mots et l’œil qui les lira. Et l’objet-livre est beau, d’un format presque carré qui laisse respirer les textes sur la page d’un papier chaud à tenir au creux de la main. Nous voilà très heureusement disposés à entrer dans « Nés arbres ».

Et comment mieux inaugurer l’aventure que de partir des arbres, et même de la racine de l’arbre invoquée dans les premières lignes ? Dès le pluriel du titre, Marilyse Leroux l’affirme : nous sommes tous nés arbres, même si ensuite, c’est le « je » qui dira son histoire d’arbre, avec les arbres. Qu’ils soient chêne, cerisier, tilleul, saule ou génériques anonymes, ils nous renvoient à un état antérieur d’harmonie « ce matin / tout bouge ensemble / sans effort » qui est peut-être l’enfance du monde, au sein duquel, arbre parmi les arbres « me voici une dans l’air ». L’arbre n’est pas seulement celui qui filtre la lumière, unit la terre et le ciel, il est notre matrice « il y avait un chêne / enfant j’y entrais / tout entière : une vie dans la vie » et plus loin « j’aime m’endormir dans les bras d’un arbre ». L’arbre est donc protecteur, il nous élève aussi, au propre et au figuré : «je les entendais grandir / au bout de leurs racines » « ils m’apprenaient / le premier chant / celui des questions ». Alors bien sûr, au milieu d’eux, on peut se sentir de la famille, tiré vers la lumière, mais on sait en même temps que « les arbres sont là / de plus loin que nous / nous regardent passer ». La vérité de l’arbre au fond nous échappe : « il veille sur son carré d’herbe / avec ses légendes / ses nids à secrets. » C’est la troublante et belle leçon de ce recueil : nés arbres nous accomplissons notre destin d’homme et de femme, mais pas d’inquiétude, quand bien même la vie nous en éloignerait par moment « il y a tant d’arbres en nous /que nous ne connaissons pas ». Pour finir, on n’oubliera surtout pas les superbes gravures de Thierry Tuffigo, d’arbres au regard hypnotique de chouette, qui nous rappellent que ce sont eux qui nous regardent, pas l’inverse.

(Décharge n°185, 2019)

 

Tag(s) : #2020
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