Curieux opuscule que voilà mais fort réjouissant. Et pourtant, l’espace ici cadastré est celui d’un cimetière où les misères, par définition, ne manquent pas. Chaque texte, titré de l’emplacement, « Allée H, n°8 » par exemple, brosse un portrait du locataire perpétuel à gros traits où la biographie n’oublie jamais les circonstances de son arrivée en ces lieux. Parfois tendre, ces biographies sont le plus souvent teintées d’une ironie féroce qui reconstituent peu à peu une société qu’on imagine rurale ou banlieusarde (il y a une tour de dix étages d’où tombe une infortunée Juliette, et un viaduc qui passe au-dessus d’un jardin dont on interdit la fréquentation aux enfants le soir, de peur de recevoir le corps d’un énième suicidé). Cette société a certes ses notables, huissiers de justice et bons vivants qui n’en sont pas moins morts, mais elle offre surtout une galerie de miséreux divers, alcooliques, marginaux, quasi-vagabonds et même un amateur de poésie et son libraire voisin de parcelle, qui recueille les cendres de sa collection de livres (comme quoi, il n’est jamais trop tard). Il y a un jardinier qu’on enterre avec sa fourche, laquelle cogne le bois à gauche et à droite pendant le dernier voyage, « comme un roi avec son épée » ; il y a aussi ces morts qui longtemps se refusent, telle la Juliette déjà mentionnée qui voit ses père, mère, oncles et cousins s’entre-déchirer avant, des mois plus tard, de faiblement réagir aux stimulis. Il y a ces cinq concessions côte à côte d’un lignage ennemi juré et bien d’autres vanités que jalonnent de très belles photographies, en noir et blanc… mais plutôt en noir, évidemment.
(Décharge n°186, 2020)
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