Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

En 1975, Les Nouvelles Littéraires commandent au poète et chroniqueur André Laude, pour un numéro spécial, ce panorama d’un demi-siècle de vie culturelle, de la mort d’Apollinaire à celle de Montherlant. La légende dit que Laude l’écrivit en trois jours sans discontinuer et, à le lire aujourd’hui enfin réédité par les soins conjugués de François Vignes et Jean-Claude Tardif, on est tenté d’y croire, tant tout cela paraît écrit d’un seul souffle, plus épique qu’historique. L’auteur brasse large : littérature, musique, peinture, danse, cinéma, photographie, sciences humaines et même… le cirque. Comme de juste, en pareille circonstance, on remarque vite les absents, les ellipses, puisqu’il est impossible en moins de 200 pages de citer tout le monde. Ces choix sont ceux d’un homme, d’une sensibilité, d’un regard. Ainsi André Laude dresse-t-il un portrait avant tout français, ne s’intéressant à une création qu’à partir du moment où elle arrive en France. L’extrême Orient, Chine, Japon sont absents, l’Afrique tout juste citée avec Senghor et Mohamed Dib. Et s’il est question de cirque à cinq ou six reprises, la bande-dessinée n’a droit qu’à une seule citation,  narquoise, du héros moustachu de Goscinny et Uderzo. Le roman policier est présent à travers la figure de Marcel Duhamel, créateur de la Série noire, mais Hammet, Himes, Mac Bain et tous les autres sont ignorés (d’une manière générale, le roman américain est sans doute sous-représenté, la figure majeure n’en étant ni Faulkner, ni Hemingway mais… Henry Miller). Pourtant, Laude s’attache à dresser un portrait tout à la fois du In et du Off de la culture : la chanson de Mistinguett à Barbara est là, Raymond Devos aussi, de même que Folon, le dessinateur. Il n’en s’agit pas d’en faire grief, ni même de déplorer, simplement de constater un choix humain qui fait la richesse de l’entreprise. Laude donc, brosse à grands traits, taille et coupe, non pas listant, ce qui n’aurait aucun intérêt (des centaines de publications existent qui précisent les choses pour les amateurs) mais donnant du sens, un mouvement (en gros, celui des sous-titres des deux volumes : des années folles aux années floues).  S’il restitue presque magiquement l’air du temps, les grands débats et polémiques (surréalisme, existentialisme, etc), il n’oublie pas les parcours solitaires, les étoiles filantes, les marges, les sourdines. Le rythme est haletant, ça se lit d’une traite, presque comme… un polar. Curieusement, le personnage principal semble être Henri de Montherlant, présent dès les premières pages et sur la mort duquel s’achève l’essai. A côté des figures majeures, Breton, Picasso, Chaplin, Aragon, des noms surprennent : Drieu la Rochelle a droit à de nombreuses mentions, Mauriac aussi. On s’étonnera moins de la présence de Michaux, Artaud, Honegger, Bunuel. On aimerait discuter pendant des heures avec l’auteur (mort en 1995) de la place de tel ou tel. Et puis, à mesure qu’on approche du présent (1975, donc) Laude a l’élégance de se faire prudent, plus évasif. Il avoue ne pas savoir quelles sont les figures marquantes du temps dans lequel il vit. Il cite Venaille en oubliant Bonnefoy, les Pink Floyd en ignorant les Rolling Stones, Emile Ajar dont il ne connaît pas la part Gary. Qui, aujourd’hui, continuera cette saga époustouflante ?  

décharge 167, 2015

 

Tag(s) : #2015
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :