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Que ce livre paraisse en ce printemps étrange est évidemment une coïncidence, le temps de l’écriture, celui de l’édition puis de la fabrication débordent des échelles logarithmiques des pandémies. Mais le hasard n’en est que plus troublant. Une femme se meurt dans un univers d’appareils, un tuyau dans le nez, au milieu « des allées et venues d’infirmières ». Elle appartient à la génération précédente, voire celle d’encore avant. Déjà, elle ne réagit plus à rien « au bord du nez / un frôlement » mais ne l’a-t-on pas rêvé ? Ce serait un témoignage, triste et sensible mais intime, si ne venait se greffer la dimension proprement poétique de la parole, cette invite - injonction ? - d’une voix, qui donne son titre au livre. Parler ? mais de quoi ? Et à qui ? Que devient la parole quand elle ne trouve plus sa destinataire ? Alors on fait comme si : « parler seule comme si on était deux », on hésite entre « s’accrocher aux souvenirs », « redire les prénoms », ou se tenir résolument au présent « dire les courses, l’achat d’un sac à dos ». Mais au fond, ce qui affleure et qui terrifie c’est la « peur du plus rien à dire ». Car la parole ordinaire a toujours un but, un objet. Ici, ce ne sont que « morceaux épars », « bouts à filer / à faire plonger avec le crochet / à ressortir pour un point / et recommencer ». Et aussi, il s’agit d’« écouter / tout ce que ça dit / quand ça ne veut plus rien dire ». En quelques mots, mots des pauvres gens comme chantait Ferré, Marcelline Roux dit ces deux passages, le drame intime de la séparation et, pas d’abord bien sûr, mais aussi, le passage des mots utiles, utilitaires, aux mots de la poésie, si dérisoire, si nécessaire : « redire, refaire / avec du sens / même un semblant / un geste qui dessine / l’envie d’y retourner ». Elle est accompagnée dans ce double mouvement par les photo­graphies d’Alice Alice - car les livres de l’Atelier des Noyers sont toujours des dialogues entre mots et images -, et ici le pari était risqué de lier la ténuité, la retenue des émotions avec l’art de la photographie. Or le résultat est plus que probant. Pas plus que l’auteure, la photographe ne nomme, ne désigne, n’explicite. Toujours un voile, un reflet, une ombre, une surimpression font écran, de sorte que l’indicible reste à distance, garde son secret.

(Décharge 186, 2020)

 

Tag(s) : #2020
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